Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


1 décembre 2009

12. Dieu existe

Je crois que les gens aiment souffrir. On fait des tas de mauvais choix qu’on excuse comme on peut, mais en vérité on fait semblant d’être cons pour justifier notre masochisme. C’est pour ça que les gens se pressent pour faire la maison des poupées à Disneyland.
Mes sœurs me reprochent d’avoir une théorie sur tout. La grande argumente que c’est juste la putain de maison des poupées, pas une étude sociologique. La petite m’explique que ça fait plaisir à notre frère. Je regarde ce dernier trépigner d’impatience. J’ébouriffe un peu ses cheveux avec ma main, et il lève sa tête vers moi.
-Ça va être bien ? me demande-t-il.
-Tout ce que je peux te révéler, dis-je, c’est que tu seras plus jamais le même après ça, petit mec.
-Quoi ?
La grande me donne un coup de coude, en me reprochant de vouloir embrouiller notre frère. Elle insiste que l’attraction est faite pour les enfants de son âge. La petite ajoute qu’elle est aussi faite pour les attardés mentaux, et qu’elle ne voit pas pourquoi je ne l’aime pas.
Notre tour arrive de monter dans les nacelles. Je prends place avec mon frère, qui trépigne plus que jamais. J’ai envie de l’arracher maintenant à cet enfer, mais mieux vaut qu’il fasse ses propres expériences. La nacelle démarre et nous pénétrons dans l’antre des poupées débiles. Elles chantent leur abominable litanie dans toutes les langues de la planète, comme pour nous prouver que la bêtise est universelle. Mon frère se liquéfie, car même lui est trop vieux pour ce genre de conneries.
Les poupées nous persécutent de leur bonheur illusoire. Elles nous chantent un monde qui n’existe pas, dans des langues que nous ne parlons pas. Parce qu’au fond, elles se foutent pas mal de notre présence, et font leur vie folle sans nous. C’est juste un mauvais moment à passer.
L’attraction semble durer des heures, et lorsque nous revenons à l’air libre, abrutis de musique pesante, nous allons rejoindre mes sœurs. Leur visage est défait, comme la plupart des rescapés de la maison des poupées. J’aperçois même un touriste qui vomit dans les buissons.
Le choc a été rude, et je tente de rassembler mes esprits. La petite ressemble à une victime de viol, tandis que la grande fait des efforts pour affirmer sans trembler que ce n’était pas si terrible.
Les gens autour de nous se mettent brusquement à hurler, sans que je comprenne pourquoi. Ils courent se réfugier dans tous les sens, et pour une fois je suis d’accord avec ma sœur pour dire que c’est une réaction démesurée en regard du traumatisme subi. C’est alors que le sol se met à trembler violemment. Mon frère tire sur ma manche et pointe son doigt vers quelque chose derrière moi.
-C’est quoi comme attraction ? me questionne-t-il.
Je fais l’erreur de me retourner. Dressé à côté du château de la Belle au bois dormant, j’aperçois un géant haut d’une bonne centaine de mètres, vêtu d’une toge, et portant une longue barbe blanche. A vrai dire j’étais persuadé que ce jour n’arriverait jamais.
-Bordel, dis-je à mon frère, je crois que c’est Dieu…
C’est fini. Plus rien n’aura jamais de sens, car la logique vient de prendre un coup fatal. Dieu existe, et mon univers s’écroule.
Le géant barbu scrute Disneyland de ses yeux haineux, observant avec mépris les minuscules fourmis que nous sommes courir dans tous les sens. Il fait sonner sa voix caverneuse, qui emplit tout le parc.
-Je suis Dieu, crie-t-il pour ceux qui n’ont pas encore compris. Et je vais vous détruire.
Sur ces mots, il se met à cracher une colonne de flammes, et embrase le château de la Belle au bois dormant. Les gens à l’intérieur hurlent et s’enfuient en beuglant. Une tour s’effondre avec fracas. Puis il écrase d’un coup de talon l’auberge de Blanche neige, et pousse un rire démoniaque.
-C’est toi qui a fait ça ? me demande calmement la petite. Tu l’as forcément imaginé.
Les gens me reprochent souvent d’agir sans le vouloir sur l’état du monde, comme si ma compagnie les entraînait dans un univers parallèle. Xavier dirait que je suis trop volontariste et que j’ai amené Dieu à Disneyland pour appuyer un point de vue. Et qu’il crache du feu parce que c’est comme ça que je me l’imagine. Je hurle à mes sœurs de se mettre à l’abri avec mon frère, et que je vais me charger de tout.
-Encore une de tes théories ? raille la grande. C’est parce que c’est ton devoir d’écrivain, c’est ça ?
-Non. C’est parce que c’est mon devoir d’athée.
Tout ça n’est qu’un vieux débat millénaire. Je m’élance vers le château en flammes, la rage me tiraillant le ventre. Je refuse catégoriquement que Dieu existe, parce que c’est vraiment trop con. Il n’y a absolument rien qui laisse penser à une entité suprême, et ce n’est pas la destruction d’un parc d’attraction qui va me faire changer d’avis.
-Connards de français, vocifère Dieu, vous pouvez jamais vous empêcher de faire chier ! J’ai pas créé la Terre pour voir un peuple comme le vôtre émerger ! Avec vos révolutions de merde, parce que vous êtes jamais contents ! Ça s’arrête aujourd’hui.
Il se saisit de deux tasses géantes sur un manège, et s’en sert pour bombarder les gens cachés dans le labyrinthe d’Alice au pays des merveilles. Puis de son souffle enflammé, il carbonise une mascotte Donald qui fuyait pour sa vie.
Juste au moment où les athées s’étaient intégrés, voilà que le grand barbu revient faire du prosélytisme. L’idée m’est insupportable. Je refuse que les gens recommencent à utiliser leur croyance pour faire des trucs stupides. Car c’est la malédiction des athées : Ils partagent la planète avec des tarés.
Je fais un bond sur le côté pour éviter une tasse géante lancée au hasard par Dieu. Je reprends mon souffle, et tente d’élaborer un plan. Le barbu doit repartir d’où il est venu, et vite, parce que sinon les gens vont savoir qu’il existe. Et les chrétiens vont plus se sentir pisser.
J’attrape mon portable et envoie un texto à Xavier qui dit « Dieu existe, mec. C’est la merde, mais je m’en charge ».
Le parc brûle et les gens courent en vain, tentant d’échapper au géant furieux. En y réfléchissant bien, il ne pouvait pas apparaître ailleurs qu’ici. J’aurais presque pu le deviner avant d’acheter mon ticket, parce que c’est exactement ce que j’aurais écrit. Arrivé à ses pieds, je hurle son nom assez fort pour qu’il m’entende. Il baisse les yeux vers moi et je sens mon sang cesser de circuler.
-Tu veux quoi, le cloporte ? me demande-t-il.
-Tu dois repartir, dis-je en avalant douloureusement ma salive.
Il tente de m’écraser avec son pied, mais je l’esquive d’une roulade. Il se met à cracher du feu, et je prends mes jambes à mon cou, hurlant « Négocions ! », avant d’aller me réfugier derrière le rocher dans lequel est plantée l’épée du roi Arthur. Je l’entends me répondre de sa voix tonitruante « Négocier que dalle. Tu vas mourir, sale français ! ».
C’est dingue que même Dieu déteste notre peuple. C’est pas juste parce que nos dirigeants nous font passer pour des cons, ou que nos émeutes sont mal perçues. C’est plus profond que ça. Voilà des siècles que nous passons notre temps à tout contredire, pour le plaisir de faire avancer les débats ou pour rappeler notre existence.
Mon portable sonne et je reçois un texto de réponse de Xavier qui dit « Il faut que tu t’éloignes de ce que tu écris, mec ». J’ai envie de lui répondre que c’est trop tard, mais mes doigts tremblent bien trop pour écrire un message convenablement.
Je grimpe sur le rocher du roi Arthur, et me saisis du manche de l’épée prisonnière. Je tire dessus de toutes mes forces, tentant de l’arracher à la roche, mais elle ne bouge pas d’un pouce. Le problème c’est que mon plan s’arrête là. Dieu pousse une fois de plus son rire dément, en me regardant lutter pour ma vie.
Il m’attrape de sa gigantesque main, et presse mon corps dans sa paume, ne laissant dépasser que ma tête. Il me soulève dans les airs jusqu’à m’amener à quelques mètres de son visage. Avec un plaisir sadique, il resserre son étreinte sur mon corps. J’ai l’impression de passer sous un rouleau compresseur. Visiblement contrarié, il serre un peu plus fort.
-Pourquoi tes os ne craquent pas, cloporte ? me demande-t-il irrité.
-C’est le manteau d’hiver que ma mère m’a fait, dis-je. Il est putain de solide.
Il a un rictus méprisant, et murmure « Alors brûle » avant de prendre une grande inspiration. Je hurle « Pas Disneyland ! » et il s’arrête net, prenant un air intrigué. Capter l’attention de Dieu, c’est quand même pas donné à tout le monde.
-Comment ça, cloporte ?
J’essaye d’articuler d’une voix tremblante et suraigüe qu’en détruisant cet endroit il ne s’attaque pas vraiment aux français. Parce qu’au fond il va surtout dégommer des touristes, et que le parc n’est pas notre fierté nationale. Un rapide coup d’œil en contrebas me donne le vertige, mais je vois mal comment je pourrais lui demander de me reposer par terre.
-Je vais m’attaquer à Paris, conclut Dieu.
-Surtout pas ! Paris non plus c’est pas la France ! Il y a encore trop de touristes et d’immigrés ! La vraie identité nationale tu la connais, c’est la province. Enfin merde, c’est les montagnes, les ancêtres gaulois, la potée, le fromage …
Ma voix est plus implorante que jamais. Dieu lève les yeux au ciel d’un air pensif, comme s’il interrogeait une puissance supérieure. Il reste quelques instants ainsi, attendant un signe qui ne peut pas venir. Le bruit du château qui brûle et la musique débile qui passe dans le parc meublent à peine le silence. Je sais pas pourquoi je m’obstine à venir ici, cet endroit me fatigue.
Dieu finit par me reposer au sol, à mon grand soulagement. De joie, je lui ferais presque un câlin. Sauf que mes bras ne font pas le tour de sa cheville.
Il fixe une direction précise, et l’espace d’un instant j’ai l’impression qu’il va prendre le Space Mountain pour retourner chez lui, avant de me rendre compte qu’il voit beaucoup plus loin que moi.
-Je vais détruire Clermont-Ferrand, grogne-t-il. Ça vous apprendra.
En quelques enjambées, il sort du parc et s’éloigne dans la forêt, en direction du lointain. Tout s’est passé vite, et j’ai pas tout compris. J’ai l’impression que si Dieu est aussi con, c’est parce que ça me fait plaisir. Qu’il est ce qu’on attend de lui, et que c’est pour ça que j’ai pu le vaincre.
Je vois l’auteur, pas l’histoire. Je suis paumé dans les chapitres, et je comprends plus certains passages.
Xavier a raison, il faut que je m’éloigne de ce que j’écris. C’est trop volontaire, pas assez évident. Dieu qui attaque un parc d’attraction, ça dénote trop clairement mes opinions.
Je m’assois par terre et m’allume une cigarette, parce que c’est ce qu’il y a de mieux à faire. C’est la première fois que je rencontre un écrivain qui me soit sympathique. Parce que c’est lui aussi un connard égocentrique, qui a perdu tout contrôle sur sa création. Et son œuvre vaut mille fois mieux que lui.


Note : Le parallèle de la fin est un peu trop prétentieux.

Prochainement : Vincent grosses couilles

13 commentaires:

  1. a mon avis, celle-ci est bien mieux que la nouvelle 11

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  2. vincent grosses couilles c'est pas super comme titre ça donne pas envie

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  3. mouai c'est plein de prétention tout ça

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  4. Encore une fois, c'est plaisant à lire et bien écrit. Vous avez suivi une formation littéraire ?

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  5. c'est irving votre nom de famille ou rutherford ? vous êtes de la famille à john irving ?

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  6. Irving Rutherford est malheureusement un pseudo. Mais c'est Rutherford le nom de famille. Et pour répondre à Chez Lo, je n'ai pas de formation littéraire, mais j'essaye de m'améliorer.

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  7. oui il y a quand même un certain style, et c'est moderne

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  8. comme d'habitude je n'ai qu'une chose à redire : LA SUITE ! On attend...............

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  9. Pourriez-vous faire une histoire qui mette en scène la grippe H1N1 ? Je pense d'après votre potentiel comique que ça peut être drole !

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  10. Alors ça vient ? On est mardi !

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