Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


18 mai 2010

35. Martine par paliers

« Ce matin Vincent m'a apporté une épée. Il n'a pas voulu dire où il l'avait trouvée. Il a prononcé nonchalamment quelques paroles inintelligibles, et a ignoré mes remerciements. Tout ce que j'ai réussi à comprendre c'est qu'il s'est donné du mal.
Mais selon Xavier, je dois continuer à m'entraîner encore quelques temps avec un manche à balai pour apprendre attaques et parades. Puis je dois passer à la barre de fer pour me familiariser avec le poids de ma future arme. Enfin seulement, je pourrai tenir l'épée et apprivoiser son tranchant. Xavier a du mal à se détendre.
J'ai pas mal fait la gueule au dîner qui a suivi. Je n'ai pas détaché mes yeux de cette arme moyenâgeuse appuyée contre un des murs du salon. Elle paraissait vieille, à en juger par les traces de rouille qui la balafraient par endroits, et la lame semblait un peu tordue. Plus une épée de cascadeur au Puy-Du-Fou que celle d'un chevalier légendaire. Mais quand même de quoi découper quelques tranches dans un bonhomme.
Xavier a glissé dans la conversation que l'entraînement n'était pas une raison pour que j'arrête d'écrire. Je l'ai envoyé chier en sachant pourtant qu'il avait raison. Tu commences à savoir comme je suis : Quand je n'écris rien pendant longtemps je commence à me prendre au sérieux et à réfléchir bizarrement.
Une fois que mes amis ont été couchés, je me suis emparé de l'épée et suis descendu dans la rue chaude. Je trouve que l'été que nous vivons est suffoquant. Je disais la même chose l'année dernière, mais j'étais loin d'imaginer ce qu'est la vraie chaleur.
Je me suis rendu vers ce bar de révolutionnaires où j'avais rencontré Irving Rutherford pour la première fois. L'épée s'est avérée moins lourde à porter que ce que je m'étais imaginé. Quand ils m'ont vu arriver, , avec ma démarche tranquille et mon sabre au clair, les gardes postés à l'entrée se sont plus ou moins affolés. Ils ont épaulé leurs mitraillettes et m'ont ordonné de décliner mon identité et le motif de ma visite.
-Je viens voir Irving Rutherford, ai-je dit. Je suis l'écrivain guerrier.
Je suis resté planté à les toiser, fier et stupide, et j'ai crié quelques insanités pour qu'on m'entende à l'intérieur du bâtiment. J'ai attendu que le dragon sorte de la taverne. Et crois-moi j'ai attendu longtemps. Un des soldats de pacotille est rentré dans le bar pour chercher du renfort et des explications, et m'a laissé seul avec son pote qui me gratifiait d'un rictus réservé aux fous qu'on croise dans le métro. Ce que j'étais peut-être, va savoir...
C'est Irving Rutherford qui est sorti de l'antre des révolutionnaires. J'ai immédiatement lu sur son visage qu'il me croyait mort pour de bon depuis notre dernière rencontre. Je te raconterai une autre fois comment je m'en étais sorti cette fois là.
J'ai haussé un sourcil, comme pour lui signifier « Eh ouais mon pote », et j'ai brandi mon épée telle un cadeau que je lui apportais. Je te fais grâce de la conversation que nous avons eue, pleine de provocations viriles et de phrases à double sens. Simplement, nous avons discouru sur la métaphysique, et il m'a juré que cette fois il n'allait par me louper. Et très vite nous avons été à cours de mots, et n'avons plus eu d'autre choix que de nous mettre en garde.
Il a sorti un flingue, et j'ai trouvé que pour une fois il manquait de prestance, ou qu'en tout cas pour une fois j'en avais plus que lui. Ça a été ma seule victoire de la journée. Que dire ? La bataille a été moins longue que prévu, moins épique. Je pense que certains de mes coups ont fait mouche, et que j'ai pu lui arracher un peu de sang. Mais j'avais du mal à juger de la situation avec une balle dans la poitrine.
J'ai moi aussi perdu beaucoup de sang, et finalement nous avons cessé le combat, en nous promettant que ce n'était que partie remise. Chacun de son côté est rentré panser ses blessures. J'ai choisi de venir chez toi, dans le vague espoir que tu y serais peut-être.
Quand tu reviendras on reparlera de tout ça plus en détail, parce que je me rends compte que je ne suis pas très clair sur certains passages, mais j'ai du mal à me concentrer. Tu devrais rentrer vite. J'espère que tu vas bien.
Moi je vais bien mais tu me manques. »
Une goutte de sang tombe par dessus ma signature, que j'essuie sur le revers de mon pantalon. Je me dis néanmoins que ça donne un côté authentique à mon récit qui ne l'est pas vraiment. Pour commencer j'aurais pu lui dire que j'avais peur de ne jamais la revoir.
La minuterie de l'immeuble de Martine est ridiculement courte. Je me demande parfois si les gens des étages supérieurs ont le temps de monter les escaliers avant que la lumière ne s'éteigne.
Assis par terre, le dos collé au mur, je passe mon temps à appuyer sur l'interrupteur pour ne pas me faire happer par les ténèbres. C'est sans doute mon imagination, mais j'ai le sentiment que les intervalles entre chaque extinction diminuent. Le temps s'accélère lentement mais sûrement, et la nuit passe à fond la caisse, pendant que je tache le parquet avec mon sang sous une lumière presque clignotante.
Jusqu'au point où je n'ai plus la force d'appuyer sur l'interrupteur, et que l'obscurité explose silencieusement. Les craquements du bois et le son du vent qui pousse les murs deviennent les seuls signes qui m'indiquent que le monde existe encore.
Une inspiration un peu trop forte me fait sentir le trou d'air qui me traverse et que je compresse tant bien que mal avec la paume de ma main. La douleur est rassurante dans un sens.
Péniblement, je rallume la lumière pour m'octroyer un sursis. Cette fois tout est différent. Les minutes ont fini de se précipiter, et semblent se suspendre autour de moi comme des ornements sacrés appartenant à des rites inconnus. Sentant mon esprit flancher, je me fais la promesse de rester athée jusqu'au dernier souffle, de ne pas me persuader que la fin c'est le début, et toutes ces conneries.
Du bout du pied, je fais glisser la lettre que j'ai écrite sous la porte de Martine. Au fond je ne lui ai rien dit. Son palier me happe peu à peu, la lumière capricieuse est devenue permanente, et je ne lui ai rien dit. C'est le premier texte que j'écris depuis des lustres, et je n'ai même pas été inspiré.
Après une éternité de bougonnements agonisants de ma part, la minuterie finit par s'éteindre. L'obscurité est plus profonde qu'avant, sans doute parce que nous sommes à une heure avancée de la nuit. Je persiste à croire qu’il n’y a pas de monde caché sous la surface des choses, et je mets toute mon énergie dans cette certitude. C’est elle qui m’empêche de claquer tout de suite, parce que sais que quand c’est fini c’est vraiment fini.
Un soupire que je pousse fait passer un filet d’air à travers le nouveau trou d’aération que j’ai entre les côtes, et la décharge de douleur me réveille un peu. Je tâtonne le mur jusqu’à l’interrupteur, et rallume la lumière. Roger se tient face à moi, assis sur une marche de l’escalier, et affecte un air concerné.
-Tu changes pas vraiment, me reproche-t-il.
-Si, dis-je dans un souffle fatigué. Doucement.
Le son de ma propre voix me paraît étrange après cette longue période de silence. Mes yeux sont encore emplis de ténèbres et ont du mal à s’habituer à la clarté nouvelle, si bien que Roger paraît plus fantomatique que jamais. J’hésite un instant à lui dire que mes amis pensent qu’il est une manifestation de mon imagination, mais je me ravise en réalisant que cela le blesserait à coup sûr.
Je lui demande comment va le futur, et il étire ses membres avec de faux airs de sportif, comme si c’était la question qu’il attendait depuis des lustres. Il m’explique qu’il est désolé de m’avoir fait miroiter le prix Nobel et la carrière d’écrivain qui va avec, mais qu’il cherchait une solution pour changer le cours des choses sans tout bouleverser.
-C’est la loi des voyages temporels, résume-t-il.
-Dans le futur je suis devenu quoi, en vrai ?
-Tu es mort du cancer.
-Au moins c’est une chose que j’aurai empêchée.
Je renonce à boucher le trou dans ma poitrine et laisse retomber ma main, qui est pleine de picotements. Je me persuade que ça ne veut pas dire que je renonce à vivre. Lorsque je demande à Roger s’il est venu du futur pour me sauver, il a une grimace, et m’explique que c’est plus compliqué que ça.
-Il s’agit d’Irving Rutherford, admet-il. Il s’est toujours agi de lui. J’ai cru que si tu t’accomplissais comme écrivain il ne ferait pas son apparition. Et quand il est apparu, j’ai cru que si je m’intégrais à son petit groupe, je pourrais le changer lui, avant que sa personnalité ne soit bien définie. Et je pense qu’il l’a bien compris et qu’il en a abusé.
On le croirait prêt à pleurer. Malgré mon insistance, il refuse de me révéler ce qu’Irving va commettre de si abominable qui justifie un voyage temporel. Un peu fatigué, je laisse courir et m’assois sur ma curiosité. Roger a ses raisons et j’ai les miennes.
-Tu as vraiment attaqué Irving Rutherford à l’épée ? me demande-t-il avec un sourire.
-J’ai menti dans la lettre. Je lui ai pas fait une égratignure, et c’est son homme de main qui m’a tiré dessus. Je me suis enfui parce que j’étais terrifié.
Il hoche la tête, compréhensif. Il me dit qu’il va me ramener chez moi, et que ce sera une preuve qu’il existe. Mais la lumière s’éteint brusquement, et quand je la rallume il a disparu.
Je devrais être honnête avec moi-même et m’avouer que je suis venu sur ce palier pour y mourir, en pensant que ça ferait les pieds à Martine. Que je rêvasse depuis des heures en attendant d'être à court de sang, dans l'espoir de vivre ou de mourir, pensant sans relâche à ce qui pourrait être et aux gens que je pourrais croiser.
Mes yeux se ferment doucement, et je n'en finis pas d'éspérer. Une torpeur rassurante s'empare de moi sans violence, avec une logique effrayante. À travers mes paupières closes, je perçois que la lumière s'éteint, encore. Je persiste à croire que quand c'est fini c'est vraiment fini.


Note : Suspense à deux balles

Prochainement : Paxton en enfer

3 commentaires:

  1. le suspense est moyen

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  2. J'espère que vous n'utiliserez pas trop longtemps le prénom Martine pour raconter vos cochonneries !

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  3. avant il y avait bien plus de commentaires au sujet des nouvelles, tout le monde est en vacances ?

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