Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


29 juin 2010

41. Les mères


« La première chose que j'ai faite, c'est de commencer à me laisser pousser la barbe pour de bon. Ainsi on ne me prendra plus jamais pour Irving Rutherford. On dira « Non, c'est l'autre, celui qui écrit et qui s'en prend plein la gueule. »
Ensuite j'ai parlementé avec Vincent et Xavier, et par égard pour mon état, ils ont accepté d'aller en province chez ma mère. Ça m'a fait du bien de revoir la mer, même si je ne peux pas me baigner avant que mes plaies soient cicatrisées.
Je n'ai pas montré mes blessures à ma mère. J'ai dû réprimer un cri de douleur lorsqu'elle m'a pris dans ses bras.
Du coup ça fait pas mal de bouches à nourrir, et Vincent a du mal à trouver ses marques pour le ravitaillement. Pour lui la province est un monde fait de mystère et de bouse de vache. Xavier a déjà commencé à planter un petit potager au cas où la guerre civile s'éternise.
Je crois que je vais déchirer cette lettre, parce que finalement je n'ai plus envie de t'écrire. »
Je le fais. Je jette les débris dans une corbeille et sors fumer dans le jardin. Xavier est déjà là malgré l'heure matinale, et retourne le gazon de ma mère. « Scène d'émotion » plaisante-t-il en me voyant fumer silencieusement, le yeux perdus dans le lointain.
Je lui fais un doigt d'honneur et frotte mon visage vigoureusement pour me réveiller. Il nous reste encore quelques heures avant que la chaleur ne soit insupportable. Je m'assois dans une parcelle d'herbe encore intacte et observe Xavier travailler, pendant qu'il fait à haute voix la réflexion qu'il devrait se faire torturer lui aussi. Comme ça il serait dispensé des travaux pénibles.
Je lui réponds que la vraie torture c'est d'être son ami. Je m'allonge dans l'herbe, et nous discutons pendant qu'il bêche. Nous parlons de cinéma d'horreur et du sens de la vie. Le soleil monte pendant notre discussion, et nous enferme dans une fournaise. J'ai l'impression qu'il ramollit tout, y compris nos traumatismes.
Vincent finit par se lever, et râle parce que la chaleur l'a réveillé. De sa fenêtre, il nous demande Pourquoi on est levés si tôt, et je n'ose pas lui révéler que je n'ai pas dormi.
C'est l'heure du petit déjeuner. Xavier pose ses outils, et m'accompagne à la cuisine, où Vincent nous attend déjà. Ma mère est là, en train de faire cuire des œufs à la poêle. Je vais l'embrasser pour lui dire bonjour, et je dois me retenir de la prendre dans mes bras pour lui dire de ne pas s'inquiéter.
Les parents de Xavier vivent dans un endroit qui ne sera sans doute jamais touché par la violence des émeutes, dans une petite ferme qui leur assurera de quoi manger. La mère de Vincent est partie en Israël et reviendra quand les choses se seront calmées. J'ai peur pour la mienne.
Le petit-déjeuner est frugal. Nous rationnons la nourriture pour tenir plus longtemps, et je me restreins aussi sur le café. Quand nous avons fini, ma mère me demande ce que nous comptons faire aujourd'hui.
-On se reconstruit, répond Xavier en m'adressant un clin d'œil. On va aller à une réunion.
Vincent objecte qu'il aurait aimé aller à la plage, et ma mère explose de rire. Elle nous force à reprendre des œufs, ignorant nous protestations sur la nécessité d'économiser la nourriture.

-Je m'appelle Vincent et je m'autosuce.
-Bonjour Vincent !
Xavier me chuchote que ça lui fait mal au cul de l'admettre, mais que ces réunions nous font du bien. Pendant que Vincent disserte sur l'obligation en ces heures sombres de préserver des habitudes et des plaisirs simples, j'étends mes jambes et passe mes mains derrière ma tête. Je fixe le plafond avec un léger sourire aux lèvres.
-Les gens nous prendront tout, explique le moustachu. On est tous seuls et on se préserve.
Les autosuceurs applaudissent. Xavier serre les mâchoires. Il ne l'avouera jamais, mais lui aussi a besoin d'une petite reconstruction. Quand il a lu mon roman, le seul commentaire qu'il a fait a été « Ça tient pas debout mais c'est ta vie. », ce à quoi j'ai répondu « C'est LA vie. ». On a passé la semaine à faire des blagues.
Ma mère, fort heureusement, n'a pas la télé. Elle n'a pas vu ce qu'on a vu. Elle nous trouve un peu plus triste que d'habitude, et met ça sur le compte de la fatigue. Selon elle quelques journées à la mer arrangeront ça, et peut-être bien qu'elle a raison.
-Vous êtes la plus grosse bande de pédés que j'ai jamais vu, mais je vous kiffe les gars !
Vincent se rassoit, triomphant, sous des applaudissements mitigés. Son visage rayonne de plaisir. Il nous traite Xavier et moi d'abrutis, sans se rendre compte que ses jambes gigotent involontairement, comme celles d'un enfant.
La réunion finit, et un petit pot de départ est organisé. Apparemment, les séances reprendront quand ce sera « un peu moins la merde partout ». Certains pleurent, se demandant comment ils vont vivre seuls avec l'autofellation d'ici là, et je ressens un peu de chagrin pour eux.
Je vais me servir un verre de lait, boisson que je trouve complètement inappropriée étant donné les circonstances.
-C'est tout ce qu'on a, m'informe l'un des membres, un certain Pierre A.
Il me confie ensuite m'avoir bien observé, et être certain que je ne suis pas assez souple pour pratiquer « La chose ». Je lui réponds que je suis juste un sympathisant. Il me serre la main énergiquement, et prononce des paroles réconfortantes.
-Je sais que vous aimeriez être comme nous, dit-il d'un ton résolument encourageant.
-Vous n'avez pas idée.
-Vous devez vous acceptez tel que vous êtes.
-Bien sûr.
Nous trinquons avec nos verres de lait, je bois pour ne pas le vexer. J'entends les rires d'un petit groupe autour de Vincent qui mime une éjaculation nasale en prenant une voix de débile. Xavier, un peu en retrait, rit à sa manière. Tout va bien et pourtant tout va mal. C'est juste qu'on se pose pas les bonnes questions.
Quand ma mère a lu mon roman, elle m'a dit qu'elle adorait les passages en demi-teinte, que pour elle c'était sans doute ce qu'il y avait de plus dur à écrire. J'ai rétorqué qu'ils me venaient souvent naturellement, que c'était les batailles contre les gobelins ou les attaques de donjon qui m'avaient donné le plus de mal.
-C'est parce que tu viens de la demi-teinte, avait-elle dit en embrassant l'horizon autour de la maison, où s'étendaient à perte de vue des pavillons de banlieue.

-C'est quand même dingue que tu puisses aller de la maison de ta mère à celle de ton père à pied...
-Je crois qu'ils trouvaient ça mieux pour nous de pas s'installer pas trop loin. Plus pratique.
Je presse le pas en sachant que je suis en retard pour le déjeuner. A vrai dire je ne sais pas pourquoi mon père s'est installé ici. Xavier et Vincent me suivent alors que je m'engouffre dans l'allée qui mène à mon ancienne maison.
Dans le jardin mon petit frère joue seul aux tirs aux buts, et Xavier, le seul d'entre nous qui sache se débrouiller avec un ballon, va faire quelques passes avec lui. Je contourne un petit massif derrière lequel s'échappe une fumée caractéristique, et trouve mon père en train de griller des saucisses sur son vieux barbecue.
-T'es en retard, grogne-t-il. Tu va manger des putains de saucisses calcinées.
J'explose d'un rire nerveux, et prend mon père dans mes bras pendant qu'il grogne de plus belle que c'est pas comme ça que je vais l'amadouer.
Personne ne parle jamais de nous. On est les gens de la demi-teinte, ceux qui vivent dans des endroits calmes et sans histoires. On est pas plus cons que la moyenne, ni plus méchants, et on a autant peur du monde que vous.
On fait aussi partie de la grande armée des perdants. On vit des histoires mais on les vit plus paisiblement. On est même moins cons que la moyenne, parce qu'on est moins excessifs. C'est pour ça qu'on est si solides, et c'est pour ça qu'on est un refuge pour les gens qui veulent se reconstruire.


Note : Ne reparle plus jamais d'autofellation

Prochainement : Dieu rejoint la grève

7 commentaires:

  1. un vibrant plaidoyer en faveur de la famille et de l'amour universel

    RépondreSupprimer
  2. bonjour, j'aime bien votre blog et je me pose une question au sujet des écrivains : est-ce que vous faites en sorte d'être dans un état de conscience modifiée quand vous écrivez ? Il parait que beaucoup font ça, avec de l'alcool ou des drogues.

    RépondreSupprimer
  3. Quand j'écris sous alcool, j'écris des trucs nuls en pensant que j'ai du génie. Donc j'essaye tant que faire se peut d'écrire sobre.

    RépondreSupprimer
  4. 'j'essaye tant que faire se peut d'écrire sobre' ça signifie donc que vous écrivez saoul la plupart du temps ?

    RépondreSupprimer
  5. La tournure de phrase était mauvaise. J'écris sobre.

    RépondreSupprimer
  6. C'est amusant, quand j'ai lu votre histoire, j'étais persuadé que vous écriviez ivre.

    RépondreSupprimer
  7. يجب أن تخجلوا ، تكتب باللغة التي أكل لحم الخنزير

    RépondreSupprimer

 
Annuaire Miwim Annuaire blog Blog Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs visiter l'annuaire blog gratuit Blog Annuaire litterature Blogs Annuaire blogs Blog Annuaire litterature Annuaire de blogs Littérature sur Annuaire Tous les Blogs Blogs / Annuaire de Blogs Annuaire Webmaster g1blog Annuaire blog Rechercher rechercher sur internet plus de visites Moteur Recherche annuaire blog Référencement Gratuit Littérature sur Annuaire Koxin-L Annuaire BlogVirgule Annuaire Net Liens - L'annuaire Internet Annuaire de blogs quoi2neuf Vols Pas Chers Forum musculation hotel pas cher Watch my blog ExploseBlogs Liens Blogs Livres

Ce site est listé dans la catégorie Littérature : Atelier d'écriture en ligne de l'annuaire Seminaire referencement Duffez et Définitions Dicodunet

Votez pour ce site au Weborama