Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


24 août 2010

49. Martine au mauvais moment


-Alors tu n'as pas lu mon manuscrit ?
-Non.
Je me rends subitement compte que Martine doit me prendre pour un connard, de parler de moi dans un moment pareil. Mais comme je suis un de mes principaux centres d'intérêts, je ne me rends pas compte.
Elle remet ses cheveux en place avec gêne, et croise ses bras sur sa poitrine en regardant le sol entre nous. Et moi je ne sais toujours pas comment aborder le problème.
Autour de nous les gens hurlent sur les militaires alignés en une ligne compacte, la main sur la gâchette de leurs mitraillettes, qui bloquent le boulevard. Quelques kilomètres plus loin, les bombes  déchiquettent les immeubles haussmanniens, mais ne semblent pas inquiéter qui que ce soit. On s'habitue à tout.
Je demande à Martine pourquoi elle veut rentrer chez elle, m'attendant à ce qu'elle me réponde tout simplement « Parce que c'est chez moi, Ducon. », mais elle m'annonce qu'elle a finalement changé d'avis. Je jette un regard à Vincent, assis sur un trottoir quelques mètres plus loin, et lui demande par télépathie si Martine est bien réelle. Le moustachu ne saisit pas ce que je veux lui dire, et me fait signe de me démerder tout seul.
Tout est toujours une question de timing. Si j'étais arrivé plus tôt, j'aurais pu rentrer dans la capitale avant l'évacuation, et si ça avait été plus tard la fille de mes rêves aurait lu les lettres que j'ai glissées sous sa porte pour lui dire à quel point c'était stupide d'être séparés.
Je repense à cet exemplaire de mon manuscrit que j'ai glissé également, et regrette soudainement plus que tout de l'y avoir laissé. Je devrais m'en foutre mais une petite voix me chuchote que je suis capable d'écrire mieux, et que ce roman laissera une piètre image de moi. Et dieu sait si j'aime qu'on parle de moi en bien.
-Je peux pas faire mieux, dis-je.
Martine lève les yeux, surprise. Elle me sonde quelques instants, et passe sa main sur ma barbe. J'ai envie de m'enfuir en courant, ou de me réduire en cendres. Je voudrais dire un tas de trucs, faire un tas de truc, mais la vérité c'est que je reste planté là comme un gland, et que ma force d'inertie est telle que je ne bougerai pas tant que rien ne viendra me bousculer.
-Je vais y aller, m'annonce-t-elle.
-Je crois que je vais rester ici. J'ai pas le choix.
-T'es de ceux qui peuvent toujours faire mieux.
Au moment où elle dit ça je me sens encore plus faible que d'habitude. La ville et moi frissonnons à l'unisson. Mes épaules ont un soubresaut, et les immeubles tremblent sur leurs fondations. Quelques uns s'écroulent. L'instant passe comme un rêve, comme un petit tremblement de terre qui n'est perceptible qu'avec des sismographes. Un immeuble plus proche que les autres se casse la gueule, et une sorte de souffle vient caresser nos corps, et fait voleter les cheveux de Martine.
Le timing est mauvais, toujours. Je vais rester ici et regarder les bombes tomber, en attendant d'être enseveli, en pleurant comme un enfant. Je pleurerai si fort qu'on devra me soigner ensuite. Alors Martine viendra me rendre visite, et je mourrai dans ses bras. Et ça me suffira, parce que de toute manière je ne peux pas faire mieux.
Je la prends dans mes bras, et elle se dégage en m'expliquant que ce n'est pas une bonne idée. Je sais très bien ce qu'elle est en train de faire : Elle est en train de me quitter, encore. Dans quelques minutes je serai tout seul et je n'aurai plus de force.
Elle passe sa main sur mon visage, comme elle le fait tout le temps, et j'ai envie de lui arracher le bras. Je lui fais remarquer à quel point notre relation n'a été qu'une longue évolution vers le platonisme, et elle me demande d'un air absent pourquoi je gâche toujours les moments importants.
-Je suis...
En le disant, je cherche la réponse dans ma tête, sans succès. Je regarde son visage pour le graver dans ma mémoire, même si je sais très bien que le temps l'effacera.
Le sol s'effrite sous moi, se réduit en poudre et se disperse avec le vent. Je fais un pas de côté, puis deux, mais partout où je pose le pied le bitume part en cendres.
-Je retourne en province, me dit Martine. Je reviendrai quand ça se sera calmé.
-J'ai peur que ça se calme pas.
-Sois pas peureux.
Je ne pourrai supporter une banalité de plus. On est là comme deux cons à se regarder dans le blanc des yeux, en débitant des politesses, alors qu'on garde le plus important pour nous.
-J’ai vraiment peur que ça se calme pas.
Elle sourit, et me conseille de garder la barbe parce que ça me va bien. Elle m’embrasse une dernière fois, plus pour faire la paix avec moi que par envie. Elle rebrousse chemin et s’éloigne pour aller se perdre dans la foule des réfugiés.
Les immeubles n’en finissent pas de voler en éclats. Le son des bombes se rapproche, et les militaires avancent pour nous faire reculer. Le sol continue à se dissoudre sous mes pieds, et lorsque je vais m’assoir sur un banc, ce dernier s’embrase calmement, rongé par des petites flammes vertes.
Vincent vient me rejoindre, portant ses deux gros sacs de sport. Il m’explique qu’il ne me suivra pas plus loin, et me donne un milliard de raisons qui sont toutes légitimes. Je ne l’écoute même pas, car au fond je sais pourquoi il ne m’accompagnera pas.
Il me demande si je vais vraiment passer au plan B, alors que rien ne m’y oblige. Je lui réponds que je commence à peine à comprendre pourquoi je fais tout ça, et que pour cette fois je dois aller au bout des choses.
Il soupire, et ouvre un de ses sacs. Il en sort plusieurs trésors de sa collection, comme un costard et un rasoir. Je le remercie poliment, et nous marchons jusqu’à des toilettes publiques qui ont été épargnées par les pillages.
Pendant que le moustachu fait le guet, je rase ma barbe, sans mousse, et me coupe plusieurs fois. J’enfile ensuite une chemise, et m’escrime quelques minutes à faire un nœud de cravate, pendant que Vincent tambourine à la porte pour m’obliger à me dépêcher. Il me dit que les militaires avancent encore, et que les réfugiés commencent à fuir eux aussi.
Je passe un pantalon, une veste, et observe mon image dans le miroir. Pour la première fois, je ne reconnais pas Irving Rutherford. Je ne me reconnais pas non plus. Je vois en face de moi une personne étrange et déterminée, qui a un sourire rassurant. La personne que je suis devenu.
Quand je sors, Vincent le remarque aussi. Nous nous prenons dans les bras sans oser nous toucher, comme deux étrangers. Il m’annonce qu’il a un dernier cadeau pour moi.
Il sort de son sac une épée rutilante, au pommeau incrusté de pierres précieuses. Il me la tend, et en la saisissant je suis surpris de la trouver aussi légère. Je donne quelques coups avec contre le vent, et constate à quelle point elle est maniable. Je passe mon doigt sur le tranchant, et des gouttes de sang perlent de la ligne parfaitement dessinée qui est apparue sur ma peau.
Vincent baisse les yeux honteusement quand je le questionne sur la provenance de l’objet. Il marmonne quelque chose que je ne comprends pas bien, et grogne lorsque je lui demande de répéter.
­-Elle a… commence-­t-il. Elle a été forgée en secret dans la montagne sacrée de Helgafel, par les nains.
-Ah bon ?
-Elle est faite d’un alliage à la fois léger et indestructible. Rien ne pourra la briser. Et je crois bien que les joyaux sur le pommeau sont des pierres magiques. Je peux pas faire mieux.
Il déglutit péniblement, comme s’il allait vomir. Je sais à quel point ça a été dur pour lui de prononcer ces derniers mots. Son pragmatisme en a pris un sacré coup, et j’ai peur qu’il m’en veuille pour ça.
Mais nous échangeons une poignée de main cordiale, sans rancœur ni regret. Il me donne un fourreau pour ma nouvelle épée, et me souhaite bonne chance avec un air sincère.
-Je trouve rien à te dire de profond, s’excuse-t-il.
-C’est pas grave.
-Foutre.
Il me colle une petite claque sur la joue, et en tente une deuxième que j’esquive. Il tourne les talons et reprend sa propre route. Je me prends à espérer le revoir un jour.
Je range mon épée dans mon fourreau, et me retourne pour contempler Paris. C’est comme si la ville avait vieilli de mille ans aujourd’hui. Tout s’effrite autour de moi parce que je suis incapable d’embellir le monde qui m’entoure.
Je vais au devant de la colonne de militaires qui continue à faire reculer les gens. Je tombe sur un jeune soldat, qui pointe son arme sur moi, en m’ordonnant de rebrousser chemin.
-Tu sais qui je suis ? dis-je.
Il me dévisage quelques secondes, et ses sourcils font des va-et-vient sur son front. Il finit par me laisser passer, et je ne sais pas trop si c’est parce qu’il croit m’avoir reconnu, ou parce qu’il a eu peur de passer pour un con en demandant à un supérieur.
Les rues sont dégagées comme jamais. On voit que des tanks sont déjà passés aux traces de chenilles sur le sol, et aux voitures écrasées. La fumée des immeubles qui achèvent de brûler fait des ombres sur le sol, et cache le soleil.
Je me dis que c’est juste un mauvais moment à passer.


Note : Rendre le tout moins sentimental

Prochainement : Seul en piste (1)

2 commentaires:

  1. Bonjour, constatant que votre blog a peu de visiteurs, je vous conseille d'aller lire cette page qui expliquer comment le rendre plus populaire. Vous aurez à y gagner. Cliquez sur mon nom.

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