25 mai 2010
36. Paxton en enfer
Paxton Fettel pensa que cette fois il l'avait bien dans le cul. Pendant toutes ces années, il avait toujours vu la mort comme un détail anodin de l'existence, comme un passage obligé vers le nexus. Sans doute parce qu'il ne réfléchissait pas vraiment à cette question.
Lorsqu'il se réveilla dans cet endroit qu'il identifia comme l'enfer, il fut d'abord frappé par l'absence de chaleur. La tête lui tournait, et il parvenait vaguement à distinguer les rochers tranchants qui se dressaient un peu partout autour de lui. Un bruit sourd de métal que l'on frappe se perdait dans le lointain. Mais la première réaction de Paxton fut d'être surpris de ne pas transpirer dans son armure.
Cet endroit mythique, plusieurs sages du pays de Fock lui en avaient parlé autrefois lorsqu'il était enfant. Terrifié, il écoutait avec fascination ces légendes sur ce pays peuplé de créatures démoniaques, où l'on brûlait pour l'éternité. Et maintenant qu'ils s'y trouvait, il retrouvait ce sentiment de peur profonde qu'il éprouvait auparavant en entendant mentionner « L'enfer existe ».
Et il existait bel et bien. Ses yeux s'habituaient progressivement à son nouvel environnement, et lorsqu'il se mit debout pour regarder au delà des rochers acérés qui l'entouraient, un dragon décharné passa au dessus de sa tête. La bête ne lui prêta pas attention. Elle était dans un état de putréfaction avancée, et l'on voyait par endroit des os apparaître sous sa chair dévorée par les mouches.
Paxton, transporté par l'odeur de l'animal qui ne le survola qu'une fraction de seconde, ne put s'empêcher de vomir. Il scruta l'horizon et réalisa qu'ils se trouvait dans une vallée entourée de falaises rougeâtres, au milieu d'une forêt de pics rocailleux. Par endroit des corps humains étaient embrochés sur des pierres particulièrement tranchantes, et quelque part cela rassura Paxton. Au moins ils n'était pas seul avec les dragons.
À sa grande surprise, il constata que des larmes coulaient sur ses joues. C'était souvent ce qui lui arrivait lorsque les évènements le dépassaient, ce qui n'était pas si fréquent.
Tout cela n'avait pas le moindre sens ! Tout le monde savait pertinemment qu'il n'existait pas de vie après la mort. Si tel était le cas, les chevaliers auraient été incapables de penser à survivre. Si la vie nous offrait une seconde chance, il devenait vain de la préserver.
Un pensée pire encore s'empara de son esprit. Si l'enfer existait indéniablement, cela voulait alors dire que ses mauvaises actions l'y avaient conduit. Il songea à la vie morose que les gens mèneraient s'ils pensaient qu'il seraient jugés à la fin, et il pleura de plus belle.
-Putain, murmura-t-il, je veux mourir...
Il retira son heaume, et donna un coup de pied dedans pour l'expédier contre un rocher. Il leva la tête vers les falaises, et commença à élaborer un plan. Pour son esprit étroit de chevalier, l'enfer ne différait pas vraiment d'un donjon sinueux ou d'une forêt magique : C'était une nouvelle mission.
Il se mit en route à travers la terre aride et inhospitalière, et calcula qu'il lui faudrait bien deux jours de marche jusqu'aux falaises.
Quand Paxton Fettel rencontra d'autres humains, il ne leur accorda au début qu'un coup d'oeil rapide, les confondant avec les cadavres qu'il croisait fréquemment depuis le début de son périple. Quand l'un d'eux héla le chevalier, ce dernier sursauta si violemment que ses plaques d'armure sonnèrent comme des cloches.
Les hommes qui s'adressaient à lui étaient rachitiques. Leur peau semblait prête à tomber, prenant par endroits des teintes violacées, et des dizaines de mouches se baladaient joyeusement sur leurs crânes dégarnis sans que cela ait eu l'air de les gêner. Paxton préféra couper court à la conversation et annonça qu'il voulait arriver aux falaises avant la nuit.
-Il n'y a pas de nuit ici, sourit l'un des hommes avec un air étonnement calme. Nous avons du feu et des paillasses, viens donc te reposer au lieu d'aller mourir d'épuisement.
-Parce qu'on peut mourir à nouveau ? demanda Paxton.
-C'est une expression, mec.
Paxton alla s'asseoir avec les hommes, qui semblaient être déjà morts quelques bonnes centaines de fois. Certains arboraient même des plaies encore sanguinolentes aux sujets desquelles ils râlaient doucement.
Ils devisèrent sur la vie après la mort, et Paxton nia l'évidence. Pour lui l'existence même d'une seconde chance était stupide, encourageait la procrastination, et était contraire au code de la chevalerie. Il alla se coucher sur un petit tas de paille qui atténuait difficilement la dureté du sol en pierre. Il tenta de fermer les yeux, mais les cris des dragons au loin, ainsi que l'odeur épouvantable que dégageaient ses compagnons d'infortune, lui tapaient sur les nerfs.
Une fois qu'il fut bien sûr que tout le monde dormait sauf lui, il prit congé des hommes putréfiés sans faire de bruit. Il retira pour cela quelques pièces de son armure, dont ses jambières et son plastron.
Il marcha pendant des heures, se cachant des créatures gigantesques qui rôdaient entre les rochers ou dans les airs. A vrai dire, plus il se rapprochait des falaises, plus leur nombre augmentait. Aux dragons venaient s'ajouter les harpies et les chimères. La main serrée sur le pommeau de son épée, il avançait tant bien que mal d'un pas lourd. La peur de finir par ressembler aux hommes qu'il avait croisé avait remplacé la peur de mourir.
Il finit par arriver aux pieds des falaises. Un mur de rocaille se dressait entre lui et la sortie, il en était persuadé. La certitude que le vrai monde se trouvait au delà de cette vallée maudite lui était venue très vite. Paxton Fettel était un chevalier qui aimait se fier à son intuition.
Il se débarrassa des dernières plaques de son armure, ainsi que de son épée et de son écu. Avec une légèreté à laquelle il n'était plus accoutumé, il se mit à gravir la falaise.
La roche coupante lui entaillait les mains et les pieds, mais Paxton continuait de monter avec détermination. L'espoir insensé d'une sortie possible le maintenait en l'air et l'empêchait de tomber. Plusieurs fois il manqua une prise, ou cassa un bout de pierre sous son poids, mais toujours il se rattrapa. « Autant le faire d'une seule traite » pensait-il.
Ce qu'il fit. Ayant perdu la notion du temps, il ne sut exactement combien d'heures il passa ainsi à escalader le mur de rocaille. Chaque fois qu'il regardait en contrebas, le sol semblait ne pas avoir bougé. Mais la persévérance d'un vrai chevalier est une chose peu commune, et il ne se décourageait pas pour autant.
Lorsque sa main tâtonna un sol terreux, d'autres larmes coulèrent encore sur ses joues. Il se hissa en puisant dans ses dernières forces, et se retrouva sur le plateau qui dominait la vallée.
Il avait eu raison : Devant lui, à perte de vue, s'étendait une épaisse forêt de chênes d'où émergeaient anarchiquement des immeubles haussmanniens. Entre les arbres poussaient les feux de circulation et les panneaux publicitaires. Il aperçut même un sanglier qui sortait d'un escalier de métro.
Avant qu'il ait eu le temps de réfléchir, une pointe de douleur l'assaillit et l'obligea à s'appuyer contre un arbre. La blessure qu'il avait à la poitrine s'était rouverte d'un coup, et son sang se répandait abondamment dans l'herbe.
Chaque inspiration était plus douloureuse que la précédente, et il regretta presque de ne pas être resté en enfer. En claudiquant, il s'engagea dans la forêt, se fiant à son sens de l'orientation pour compenser sa vue brouillée. Il tourna devant un grand chêne qu'il crut reconnaître, et remonta le boulevard Saint Martin qui était envahi par les mauvaises herbes.
Il savait pertinemment que ce n'était qu'une question de minutes avant qu'il ne soit plus capable de tenir debout. Sa main compressait la plaie entre ses côtes, tentant vainement de retenir l'hémorragie. Sa vue était était de plus trouble.
Il coupa par une ruelle, et se précipita vers cet immeuble qu'il connaissait. Il tapota le digicode à l'aveugle, et pénétra dans le hall frais et carrelé. Ses jambes le lâchèrent, et il dut faire un effort pour s'allonger doucement par terre et ne pas s'écrouler.
-C'est trop con, dit-il.
Il ne lui restait qu'un escalier à gravir, c'était tout. Il avait traversé la mer de roche, évité les chimères, gravi une putain de falaise, et il n'était même pas capable de monter quelques étages.
Quand la porte de l'immeuble s'ouvrit, Paxton Fettel était déjà inconscient. Un homme moustachu fit irruption dans le hall en tenant deux sacs de sport, qu'il lâcha en apercevant notre héros. Et malgré la spectaculaire claque qu'il reçut pour se réveiller, Paxton ne put s'empêcher de sourire.
Note : T'es pas non plus militant athée
Prochainement : Vincent aux petits soins
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Où sont donc passés tes lecteurs, Rutherford ? En as tu vraiment eu ? Ils auront vite réalisé la pauvreté de ton style.
RépondreSupprimermoi je suis toujours là pandora alors vous pouvez arreter d'être médisante
RépondreSupprimerc'est pas parce qu'on met pas de commentaire qu'on ne lit pas
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