13 juillet 2010
43. Xavier n'est rien sans moi
-Défends-toi !
Je reçois le premier tome du Seigneur des anneaux en pleine tronche, une édition avec couverture en cuir. Je lève la tête pour apercevoir Xavier, qui s'est déjà armé des tomes deux et trois. Je me réfugie sous mes draps pour mieux encaisser les projectiles suivants, qui viennent ricocher sur ma nuque.
-Debout, et défends-toi ! mugit Xavier.
Je renverse brusquement les draps, et me dresse sur le lit avec un bouquin dans chaque main. Mes yeux sont encore ensommeillés, et si l'on ajoute à ça mon adresse légendaire, je n'ai aucune chance contre l'autre connard.
Placé à côté de ma bibliothèque, il attrape plusieurs livres à la chaîne, et me les lance avec une rapidité qui me prend de court. J'évite Le royaume des orcs et L'enchanteur, mais L'encyclopédie des dragons m'atteint en pleine poire, et c'est le plus gros projectile. Je demande à Xavier, en faisant des efforts pour ne pas crier, s'il n'a pas autre chose à foutre.
-T'es mou, répond-il en me lançant un bouclier en plastique qui traînait par terre.
Je ramasse le jouet et le passe à mon bras, en m'avançant avec précaution vers Xavier. Il attrape quelques livres pour me les lancer, mais je les dévie à coups de boucliers, et il est obligé de reculer un peu, jusqu'à se retrouver au fond de ma chambre, là où se trouvent les restes de ma collection de bandes dessinées.
Il en attrape une et je secoue la tête pour lui signifier que c'est une très mauvaise idée. Il la brandit avec un regard de défi, pendant que je m'approche de lui à pas de loup.
-C'est une édition collector, dis-je sans desserrer les dents.
Je ne saurais dire s'il sait vraiment ce qu'il fait, ni s'il a une idée de la valeur de l'objet qu'il a dans les mains, mais toujours est-il qu'il la jette dans ma direction. La bande dessinée fend l'air et frôle mon visage, pour aller finalement s'aplatir contre le mur.
Sans réfléchir, je fonce sur Xavier avec la ferme intention de lui arracher les yeux. Nous nous entrechoquons avec un bruit sourd, pour aller cogner contre le mur. Xavier, un peu sonné, parvient néanmoins à m'attraper la tête sous son bras, et à ouvrir en même temps la fenêtre. Le temps que je me dégage il m'a déjà fait basculer dehors.
Je roule sur le gazon et me relève immédiatement. Mon ami m'a déjà rejoint, et me demande pourquoi je ne me défends pas. Pour toute réponse, je casse une branche fine du cerisier de ma mère, et l'élague en vitesse pour m'en faire un bâton, que je brandis en essayant d'avoir l'air menaçant.
-T'appelle ça « se défendre » ? raille-t-il.
-Mais enfin merde, c'est quoi ton problème avec ça ?
Aussi rapide qu'un ninja, il sort ses nunchakus artisanaux de la poche arrière de son short, et commence à les faire tournoyer. Je vois tout de suite qu'il a encore fait des progrès dans le maniement de cette arme étrange.
Il vient vers moi, faisant passer son fléau sous un bras, sous l'autre... Il frappe comme un éclair et je dévie son coup avec mon bâton. Il attaque encore, et je pousse un cri aigu en le contrant à nouveau. Je ruisselle déjà de sueur, et mes bras semblent avoir doublé de volume tant ils sont contractés.
Xavier ne relâche pas la pression, et tente encore plusieurs percées. Je recule mais ne plie pas, contrant les mains tremblantes ses nunchakus sifflants. Mais si je passe mon temps à encaisser je suis foutu.
Je réajuste mes mains sur le bâton. J'inspire profondément, et fait virevolter mon arme vers mon assaillant, en perçant sa défense. J'arrive à toucher Xavier au menton, et il se fige un instant avec un air surpris. Puis il sourit, et repart à l'attaque.
Nous combattons comme des chevaliers, invoquant des forces qui nous dépassent. Nous nous approprions le jardin entier comme une arène, prenant bien garde à ne pas marcher sur les légumes du potager.
Tout se brouille : Le bruit du bois qui fend l'air, le pourquoi du comment, les éditions collectors... Je me défends et ça me fait un bien fou. Il ne me faut que quelques minutes pour cesser de trembler et rentrer dans le vif du sujet, ce qui me prend une éternité d'habitude.
On va pas prendre du recul, plus maintenant. On est dans la bataille jusqu'au cou, et je commence à peine à comprendre que je devrai continuer à me défendre quelle qu'en soit l'issue.
Mes sœurs pénètrent dans le jardin, livres en main, sans doute intéressées par les hamacs baignés par l'ombre du cerisier. Elle marquent un temps d'arrêt, jaugeant la situation avec une grimace, comme si elles assistaient à un combat d'attardés. Mais très vite elles se prennent au jeu et se mettent à nous encourager. J'ai de la peine en constatant qu'il ne fait aucun doute pour elles que Xavier va gagner.
C'est la plus vieille histoire du monde, et tout nous ramène toujours à ça. Ceux qui se croient trop intelligents pour se défendre finissent par se faire démolir. Je pense que c'est ce que Xavier essaye de me faire comprendre. Mais après tout il a peut-être juste envie de me taper dessus.
-C'est qui ton agent littéraire, salope ? me crie-t-il.
-Si t'étais vraiment mon agent littéraire je me serais déjà suicidé depuis longtemps.
Joute verbale pour le déconcentrer. Je tente un coup au ventre qu'il esquive en reculant. La plus jeune de mes sœurs traite l'un de nous de pédé.
La chaleur du matin arrive à grands pas, à moins que ce ne soit l'exercice qui nous mette en nage. Nous continuons d'attaquer sans relâche pourtant, affrontant plus que ce que nous pensons. Nous nous retrouvons vite dégoulinants et puants.
Bientôt nous nous arrêtons, à bout de souffle. Nous jetons nos armes, et ma sœur la plus grande va s'installer dans un hamac, un peu déçue.
-Vincent a dit qu'il fallait rationner l'eau pour la douche, nous lance-t-elle d'un ton moqueur.
Je m'allonge dans l'herbe et Xavier reste debout, plié en deux. Il m'observe agoniser avec un regard que je ne lui connaissais pas.
-Tu t'es défendu, halète-t-il.
-C'est que le premier jour. Attends de voir la suite.
-Le premier jour c'est le plus facile.
Vincent, réveillé par la chaleur ou par nos cris, vient nous rejoindre dans le jardin. Il peste sur le manque de cigarettes, sans se douter que j'ai décidé de refaire une tentative pour arrêter de fumer. Xavier ne dit rien, mais affiche un sourire satisfait entre deux quintes de toux.
-Je vais aller faire un footing, nous annonce-t-il.
C'est pas ça la vraie force. En tout cas c'est pas la mienne. J'empêcherai pas ma vie de partir en couilles avec des tractions ou des abdos. Je suis allongé sur le sol, dans un état lamentable, mais l'écrivain-guerrier est avec moi.
Il est répétitif. Il n'a pas beaucoup d'imagination, alors il se contente de faire toujours la même chose. Il se défend sans relâche, et bien souvent il se fait démolir. Il panse se plaies et il repart au feu. Fin de l'histoire.
En vérité il n'y a pas de stratagème ou de péripéties qui tiennent dans la vraie vie. On s'en prend plein la gueule tout le temps, mais si on est acharné et qu'on évite de se faire tuer, on finit bien un jour par rendre un ou deux coups.
Xavier l'a compris. Il me jette un regard à la fois triste et fier, en me demandant où j'ai rangé mon short de pédé. J'ai tout compris. J'ai tellement compris que j'en ai envie de pleurer. Mon ami me conseille de continuer à m'entraîner et sort du jardin.
Vincent me demande pourquoi j'ai l'air bizarre, et je lui ordonne d'accompagner Xavier dans son footing. Il maugrée et me demande si j'ai pété un câble, jusqu'à ce que je lui hurle dessus.
-Mais pourquoi, putain ?
-Accompagne-le, c'est tout !
-Je serai dans la cuisine si tu me cherches et que t'es calmé.
Il me laisse seul avec mes sœurs, qui elles non plus ne comprennent pas ma conduite. J'ai envie d'enfouir ma tête dans le gazon, d'y creuser un trou de ver pour m'échapper sans être vu, ni suivi.
En tournant la tête je vois passer Xavier derrière la haie du jardin, qui trottine dans son short de pédé. Il s'engouffre dans l'allée et va se perdre dans la jungle épaisse des pavillons de banlieue. Il est happé par le lotissement, et va courir en circuit fermé, sans pouvoir faire autre chose que de revenir au point de départ.
Mon ami va bientôt mourir.
Note : Les branches du cerisier de ta mère sont nulles pour faire des bâtons
Prochainement : Vincent ne joue pas selon les règles
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Si je comprends bien, Xavier ne va pas faire long feu. Il va y avoir de l'animation !
RépondreSupprimerIs there an english version of your blog? I ask this because your name sounds english...
RépondreSupprimerSorry, no english version. My name is a pseudonym, and I'm not good enough at english to translate my blog.
RépondreSupprimerOh, ok, never mind but thank you for your message !
RépondreSupprimerkodėl jūsų dienoraštyje yra tai, įtrauktų į Lietuvos dienoraštį?
RépondreSupprimerNon plus.
RépondreSupprimerNon plus? Ką tai reiškia? Aš klausiu jūsų, kodėl jūsų dienoraštis yra išvardytos Prancūzijos dienoraščiai Lietuvos?
RépondreSupprimerTai buvo pokštas. Aš nekalbu lietuviškai, ir aš negaliu atsakyti į jūsų klausimą.
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